Note de l'auteur : ce texte a été publié originalement en septembre 2012 suite à ma visite dans la région de Bordeaux.
Qui a déjà eu la chance de visiter, dans la même journée, deux châteaux prestigieux comme Cheval Blanc et Angélus? C’est du moins l’expérience mémorable que nous avons eu la chance de vivre mon épouse et moi-même le 30 août 2012 . Nous étions déjà impressionnés d’avoir visité deux fabuleux vignobles la veille, et nous voilà à la porte d’un premier grand cru classé A. Ce que nous ne savions pas, par contre, c’est que nous aurions la chance de visiter un autre premier grand cru classé A le même jour. En effet, la sortie du nouveau classement des vins de Saint-Émilion, publié quelques jours après notre passage dans cette région, aura consacré également le Château Angélus au rang de premier grand cru classé A avec Pavie et Ausone.
Apprivoiser le cheval tranquillement
Ma conjointe et moi avons quitté notre hôtel, Le Logis des Remparts de Saint-Émilion, un peu plus tôt que prévu afin de s’assurer d’être à l’heure pour ce premier rendez-vous de la journée, soit Cheval Blanc. Lors d’une rencontre amicale en décembre 2010, ma conjointe a eu un coup de cœur en dégustant un Cheval Blanc 1996. Depuis ce jour, il est devenu son vin fétiche. Ce vin d’une valeur de près de 900$ la bouteille a d’ailleurs le mérite de trôner au sommet de mon palmarès des dégustations du top 20 émotions de dégustation dans mon guide Griffin 2012. De plus, le second vin de cette propriété, soit le Petit Cheval, est aussi au 14e rang de mon classement personnel avec son millésime 2003.
À notre arrivée en voiture chez Cheval Blanc nous constatons que la propriété n’a pas besoin de publicité, d’autant plus qu’une simple petite affiche blanche en métal porte l’inscription du nom du domaine en transparence. Cheval Blanc tente de se faire discret dans le décor Saint-Émilionnais car la propriété n’est pas ouverte au public, sauf sur rendez-vous. L’architecture va par contre capter notre attention avec cet équilibre entre la modernité des nouveaux bâtiments et l’aspect historique du château. À l’intérieur de la réception, nous sommes immédiatement interpelés par cette vaste peinture d’un magnifique cheval immaculé qui trône près des fauteuils de la salle d’attente. Quelques minutes s’écoulent et la représentante des relations publiques du domaine, Françoise Duhar, vint nous rejoindre pour nous guider à travers la propriété et ainsi nous permettre d’apprivoiser les lieux en douceur.
Un bon ménage entre le Merlot et le Cabernet Franc
Le domaine de Cheval Blanc est à la limite de Pomerol, avec comme voisins Pétrus et Château L’Evangile. La particularité du Château Cheval Blanc réside entre autre au fait que le vignoble n’a pas de Cabernet Sauvignon pour l’élaboration de ses vins. C’est le Cabernet Franc et le Merlot qui sont à l’honneur. Ces deux cépages sont cultivés sur les 37 hectares du vignoble. La plus ancienne parcelle du domaine, le numéro 14, date de 1920 et c’est du Cabernet Franc qui y pousse. D’autres vignes de Merlot et de Cabernet Franc sont aussi très âgées et remontent à 1930. D’ailleurs, ce fut un choix des propriétaires de l’époque de ne pas utiliser de Cabernet Sauvignon malgré le fait que le sol est propice à la culture de ce cépage. Les propriétaires subséquents ont respecté cette pratique. Aujourd’hui, l'encépagement du Cheval Blanc est composé à 60 % de Cabernet Franc et à 40 % de Merlot. Une quinzaine de personnes travaillent à l’année dans les vignes de Cheval Blanc. Le vignoble est aussi caractérisé par trois types de sol. Habituellement, le sol de Saint-Émilion est plutôt de type argilo-calcaire.
Le calcaire n’est cependant pas présent ici, car on a un mélange d’argile de couleur bleu ferreux, des portions avec du sable et d’autres d’un mélange de graves et de sable. Ce sont des conditions quasi parfaites pour la vigne, car ce mélange fournit une régulation naturelle de l’eau. De plus, on pratique une agriculture raisonnée et lorsque l’on arrache des vignes qui ne produisent plus ou qui ne sont plus saines, on place la terre en jachère pour au moins 3 ans. Le vignoble de Cheval Blanc offre un rendement d’environ 35 hectolitres par hectare.
Entre tradition et modernité
Ce prestigieux fleuron de la viticulture Bordelaise a été la propriété de la famille Fourcaud-Laussac pendant plus de 150 ans. Racheté en 1998 par le belge Albert Frère et Bernard Arnault est administré par Pierre Lurton. D’ailleurs, en 1998, on a profité du changement de propriétaire pour restaurer l’intérieur du château. Depuis, on y accueille essentiellement des professionnels du milieu du vin et il n’est donc pas ouvert au public.
La plus grande attraction de Cheval Blanc depuis juin 2011, c’est son impressionnant chai dont les travaux ont été menés par l’architecte de renom Christian de Portzamparc. Les travaux ont été amorcés en janvier 2010 et finalisés en juin 2011 avec un souci évident pour l’esthétisme avec ses courbes mais aussi pour permettre aux travailleurs de profiter des avancements technologiques tout en respectant les traditions du milieu de la viticulture. Afin de remplacer les anciens bâtiments viticoles devenus désuets, la facture serait estimée à plus de 13 millions d’euros. La modernisation des installations viticoles à travers le monde n’échappe pas au Bordelais. Déjà plusieurs propriétés ont entamé des transformations majeures comme Faugères, Cos d’Estournel, Cheval Blanc ou Lafite Rothschild. D’autres sont présentement en train de le faire comme c’est le cas chez Angélus, Palmer, Talbot, Montrose, Pétrus, Mouton Rothschild et le château voisin de Cheval Blanc, soit La Dominique. L’engouement pour le besoin de séduire se traduit également par le choix de grands noms pour refaire les installations des grands crus. Après Mario Botta à Château Faugères, Jean-Michel Wilmotte à Cos d’Estournel, c’est au tour de Jean Nouvel de recevoir le mandat de revamper les chais du Château La Dominique. Avec tant de grands noms, l’expression "starchitectes" du Bordelais est née.
Comme plusieurs me l’ont confié, les affaires ont été très bonnes dans Bordeaux dans les années 2000 et les propriétaires ont compris avec les leçons du passé que c’est le bon moment d’investir.
De classe et de béton
En visitant le nouveau chai de Cheval Blanc on est presque en état d’apesanteur. On a un sentiment de légèreté dans cet environnement zen avec ses courbes et ses lignes très pures, très minimalistes. L’impression est telle qu’on ne sent pas enfermé en déambulant dans ce merveilleux décor dont l’accès est ultra sécurisé et bien protégé. On a une vue constante sur les vignes ce qui agrémente la tâche des travailleurs à l’intérieur, de même que le plaisir des visiteurs. Devant nous se dressent des cuves en béton, soit 52 cuves qui permettent de faire la vinification des 44 parcelles du vignoble. Il y a 9 tailles de cuves différentes. La plus grande fait 113 hectolitres et les plus petites autour de 20 hectolitres. Ces nouvelles cuves de forme tronconique ont été faites sur mesure et un brevet à même été déposé pour chacune d’elles à Venise en Italie pour Cheval Blanc. On a vinifié le millésime 2011 des 44 parcelles en utilisant 41 cuves et ce sera donc le premier millésime à être fait dans ces chais.
On a aussi misé sur la gravité avec ces nouvelles cuves de béton. On a donc voulu protéger la qualité des raisins avec l’utilisation de cuvons en inox qui s’élèvent vers le sommet des cuves de béton pour faciliter le transfert des raisins. Il y a aussi 7 cuves en inox pour permettre l’assemblage qui se fait également par gravité. Les vendanges se font par une cinquantaine de travailleurs sur une période d’environ trois semaines. On débute par le Merlot et 10 jours plus tard, on passe à la récolte du Cabernet Franc qui est plus tardif comme cépage. On va transporter les raisins en cagette vers la réception des vendanges et les raisins seront soumis à l’examen de deux tables de tri. On a beau avoir des équipements modernes, il y a quand même une attention de porter envers les pratiques de vinification qui demeurent très artisanales. On va fonctionner par remontage manuel durant le processus, mais on ne fera pas de pigeage.
À dos de cheval
Après avoir visité l’étage du haut, nous allons sur le toit du nouveau bâtiment par le biais d’un ascenseur. Lorsque la porte s’ouvre, une vaste terrasse s’offre devant nos yeux. Il est donc possible de faire des réceptions à l’extérieur, tout en profitant de ce décor magnifique des vignes qui font partie du patrimoine mondial de l’Unesco. À l’une des deux extrémités de cette terrasse, on aperçoit aussi les tourelles et la toiture du château de la portion historique de Cheval Blanc. Lorsque l’on prend la peine de regarder le nouveau bâtiment de loin, on a l’impression que ses lignes ressemblent aux formes d’une selle de cheval. On pourra dire qu’on a monté sur le dos de Cheval Blanc en accédant à sa terrasse. Après cette petite bouffée d’air qui invite à la détente, nous avons regagné l’ascenseur pour descendre dans le chai à barriques.
À notre arrivée dans ce temple au culte du vin, nous avons devant nous les quelques 400 barriques où vieillissent le précieux liquide qui façonnera le millésime 2011. Annuellement, Cheval Blanc produit environ 120 000 bouteilles dont 80% proviennent du grand vin et 20% pour le second vin, soit le Petit Cheval. Aucune pompe, aucun tuyau ne traînent dans ces lieux, car l’architecte a pris soin de penser à tout. Donc par soucis d’épuration, on a aussi dissimulé la quincaillerie servant au travail à l’intérieur. On procédera à sept soutirages durant l’élevage qui va durer 18 mois pour le grand vin avec une utilisation de barriques neuves à 100%. Pour le second vin, l’élevage va durer 12 mois et profitera d’un pourcentage élevé de 50% de barriques neuves. Pas moins de 6 tonneliers différents seront utilisés avec une chauffe moyenne, ce qui ajoute à la subtilité aromatique de ces bébés fluides. La mise en bouteille est effectuée par le biais d’une firme externe qui s’installe avec son camion pour que cette opération se fasse directement au château comme c’est l’exigence dans le Bordelais pour porter la mention de Château.
La grande chevauchée
La visite s’est terminée par la dégustation d’un Cheval Blanc 2006. Ce vin noté 95 points par Robert Parker se vend 1300$ à la SAQ, légèrement plus dispendieux que le 2005. Inutile de vous dire qu’on ne verse pas ce genre de vin à tous ceux qui viennent cogner à la porte du vignoble pour une simple visite. On parle d’une dégustation à près d’une cinquantaine de dollars l’once. Je dirais toutefois que c’est une once de bonheur, quelques gorgées d’un plaisir intense et qu’il serait odieux de le cracher. Je dirais sans trop d’hésitation que le Cheval Blanc est un vin comparable à un pur- sang. C’est un vin racé, gracieux et élégant qui demandera un certain temps avant de se laisser approcher. C’est un vin qui pourra quand même se consommer dans sa jeunesse, mais en affichant quand même une certaine fougue. Le 2006 est un vin viril, structuré aux parfums de fruits principalement de mûres, de tabac blond et de cèdre. Un vin qu’on a le sentiment de sentir ruer dans les brancards avec puissance, tout en démontrant du charme et de l’harmonie. Pour avoir déjà goûté un 1996, je dois dire que vous aurez du mérite à retenir vos élans avant de sortir ce type de vin de votre cellier dans les 10 ans minimum suivant son millésime.
Voilà donc un début de journée des plus inspirants, car suite à notre visite au Cheval Blanc, nous profitons du village de Saint-Émilion pour casser la croûte et ensuite, direction Château Angélus.
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